C'était une très mauvaise idée...[PV Setsuko]

Deux semaines. Deux semaines avaient suffi pour le faire changer d’avis et décider de prendre des initiatives concernant une certaine rencontre. Celle-là même qui lui avait permis de ne pas passer une nouvelle fois par la case " prison ", tout en lui accordant une défense non négligeable…au cas où. Johnny Wakabayashi était la raison de sa présence au Sakurai Gakuen, lycée réputé pour ses étudiants issus de familles aisées ou encore exceptionnellement doués dans un domaine particulier. Des promos grands crus qui se retrouveraient vraisemblablement à Todai, parce que telle était la marche à suivre. Et qu’adviendrait-il de ceux qui préfèreraient prendre une autre voie ? Seraient-ils bannis, exclus ou pire, déshérités ?! Question à laquelle Min-Oh Kang était incapable de répondre, pour la simple et bonne raison qu’il ne fréquentait pas ce monde. Leur monde. Celui où succès, réussite et gloire riment avec argent. Celui où hypocrisie, manipulation et traîtrise riment avec pouvoir. Celui qu’il n’était pas en mesure d’accepter, par pur souci d’intégrité…ou de mauvaise foi ? Il les enviait, tous autant qu’ils étaient, pour ne pas connaître la souffrance physique d’un travail pénible ou la peur de se voir retirer son titre de séjour. Ces richards, avec leurs petits problèmes, leurs petites altercations, leurs immenses fortunes. Qui pouvait affirmer, en voyant ces jeunes et leurs comportements arrogants, que le monde était juste ? Alors voilà, la grande réflexion existentielle d’un coréen, d’un étudiant jaloux et haineux, d’un homme voyant ses stéréotypes s’écrouler pour une gamine et son caractère original.

Il tira une dernière latte de cigarette avant de la jeter, l’écrasant machinalement sous sa chaussure, là où une dizaine d’autres avaient déjà été fumées. Il attendait, simplement, derrière des grilles qui laissaient entrevoir une magnifique étendue de verdure et au loin, le bâtiment principal. Il se tenait prêt d’un chêne, à l’arrière du lycée, jetant régulièrement des coups d’œil sur les élèves qui passaient devant lui, faisant mine de se trouver là par hasard. Il était nerveux et ne cessait de se remettre en question. Avait-il bien fait de venir jusqu’ici ? Qu’allait-il inventer comme excuse s’il parvenait à la voir ? N’était-ce pas stupide et irréfléchi ? Après tout, qu’est-ce qu’une jeune fille de 16 ans pourrait partager avec un bourru de onze ans son aîné ?! Il frappa violemment dans une pomme de pin, se passant une main gênée derrière la nuque, comme si ça allait l’aider à trouver une solution. Le tabac ! Il n’y avait que ça pour le calmer…tu parles d’une erreur ! Sa nervosité ne cessait de s’accroître, tandis que les minutes s’écoulaient à la vitesse de l’éclair. S’il avait pu, il se serait foutu de lui-même et de ce qui lui était passé par la tête, alors qu’il terminait son service de livreur à domicile. Dans une à deux heures, tout au plus, il devrait endosser un autre rôle, prendre une nouvelle identité et continuer à vivre comme il l’avait toujours fait : grâce à ses petits boulots. Il devait absolument zapper cette après-midi, l’oublier totalement et passer à autre chose. Il se l’était répété durant deux semaines. Comme si cela n’avait servi à rien…Il n’était pas dingue de cette fille, au point d’y penser constamment, de voir son visage à chaque instant, non…Il se contentait de se poser des questions à son sujet, parfois, se demandant ce qu’elle devenait, s’il n’y avait eu aucune répercussion négative à propos du bar…Cette rencontre inattendue l’avait en quelque sorte changé, perturbé aussi, parce qu’elle ne l’avait pas traité comme les autres pouvaient le faire. Elle ne le voyait pas que comme un coréen violent qui avait frappé un homme jusqu’à s’en faire saigner les poings, pour une histoire de racisme. Non. Elle le voyait comme un jeune homme ordinaire, frappé par l’irrespect exprimé à l’égard d’un de ses " camarades " et choisissant le moyen le plus direct - non pas le meilleur - pour rendre la monnaie de sa pièce à un japonais aux tendances politiques extrémistes. Depuis qu’il était arrivé à Tokyo, c’était la première fois qu’une personne refusait de se baser uniquement sur les apparences, mais voulait sincèrement le connaître avant d’émettre un quelconque jugement. Il découvrait, pour la première fois, ce que tolérance pouvait signifier…

Il sortit précipitamment son paquet de cigarettes pour en allumer une nouvelle et fit tomber son briquet au sol. Il se baissa pour le ramasser et en le saisissant, la clope au bec, il remarqua une paire de tennis au même niveau que sa main. Ces tennis étaient fixes, elles ne bougeaient pas, contrairement à d’autres qu’il pouvait voir courir non loin de là. Tournées vers lui, il se doutait que la personne à qui appartenaient ces chaussures était en train de le regarder. Et si c’était Jo’ ? Il remonta lentement son regard pour constater que les jambes étaient découvertes et donc qu’il devait y avoir…une jupe ! Il ferma instinctivement les yeux, voulant reculer et se retrouvant d’une position accroupie à un postérieur assis par terre. Il garda les paupières closes, sa cigarette toujours pincée entre ses lèvres, avant de dire, plus mal à l’aise qu’il ne l’aurait voulu.

" Désolé…Je n’ai rien vu. J’ai fermé les yeux à temps…C’est trop dangereux de se balader ici, je ferai plus attention. Excusez-moi. "

Et là, alors qu’il avait l’air d’un parfait idiot, il priait pour qu’elle ne se mette pas à hurler au pervers.

Il lui était impossible de penser que le temps continuait de s'écouler. Depuis le début de la journée, elle évitait soigneusement de regarder les horloges qui se présentaient à elle, incapable d'expliquer pourquoi le temps semblait avancer aussi lentement. Ce n'était, bien sûr, qu'une impression, bien mauvaise d'ailleurs, qu'elle s'efforçait de mettre de côté, en vain. Un soupir, avant de mieux caler sa tête dans le creux de son coude : était-il seulement possible de s'ennuyer autant ? Elle se rappelait encore cette époque bénie où aller en cours équivalait à déballer une sucette à la fraise. Ce temps où, elle en était certaine, tout ne pouvait que vous sourire à la fin, même dans les pires situations. Setsuko était vraiment heureuse, oui. Elle avait été quelqu'un de simple, enjouée, qui aimait les études autant que son entourage. Une mèche de cheveux vint perturber le cours de ses pensées, et elle la repoussa du bout du doigt, sans y prêter davantage d'attention. Elle ne faisait, de toute façon, pas vraiment attention à son physique, ou du moins, juste assez pour ne pas paraître décalée près de ses camarades qui, pour la plupart, appartenaient tous à un cercle aisé. Alors, tous les matins, elle avait cet étrange rituel qui consistait à rester debout devant son miroir, à se répéter qu'elle méritait non seulement leurs regards, mais aussi leur attention. Elle n'était, après tout, pas différente d'eux, destinée au même avenir. Elle ajustait sa coiffure, piégeait ses longues mèches derrière une barrette et lissait la jupe de son uniforme. Et elle se sentait parfaite. Enfin. Cette impression s'envolait sitôt la porte de la maison passée, sitôt qu'elle sentait le vent sur sa peau, qui dérangeait ses cheveux, se glissait entre ses jambes et faisait onduler sa jupe. "Pardon, il y a erreur sur la personne" disait dame perfection, avant de disparaître au coin de la rue. Alors elle lissait de nouveau son uniforme, baissait la tête, et sans un mot, prenait la direction de Sakuraï.

Sans mentir, elle avait simplement l'impression de vivre un drame, et cette sensation lui était toujours fort déplaisante. Que n'aurait-elle pas donner pour garder son insouciance d'autrefois... oui, elle n'aspirait qu'aux bonheurs simples de son adolescence, qui lui filait entre les doigts. Son repos, elle pensait ne le trouver nul part ailleurs que dans la souffrance d'Akiyo, qui pourtant s'obstinait à lui rester insaisissable. Jamais encore, elle n'était parvenue à se retrouver seule face à lui, et lorsque leurs regards se croisaient inopinément, aucune lueur de reconnaissance ne s'allumait jamais dans le sien. Avait-elle tant changé ? Ou l'avait-il simplement... oublié ? Cette idée lui paraissait encore plus intolérable que ses insultes même, et sa haine attisée brûlait de plus en plus fort. Bientôt, elle ne serait sans doute plus que cendres. Et c'est sur cette dernière pensée que la sonnerie retentit enfin, l'arrachant à ses songes mélancoliques. Ne pouvait-elle cesser de s'attarder autant sur son histoire ? Setsuko en avait presque assez de ne vivre que pour cela, que pour se venger, mais il lui semblait que si elle ne le faisait pas, alors elle serait incapable d'avancer. Elle soupira, ramassa ses affaires, et jeta un dernier coup d'œil vers la fenêtre à côté de laquelle était assise. Tout ce paysage était son compagnon d'infortune depuis quelques mois maintenant, et elle le connaissait par cœur. Le lycée bien sûr, était d'une beauté à couper le souffle. On avait pris soin de ne laisser personnes douter de la qualité des élèves qui pouvaient s'y trouver. Etait-ce une bonne chose d'en faire partie ? Certes, un avenir radieux s'annonçait pour elle, mais un avenir qu'elle n'avait nullement choisie, et qu'elle ne parvenait pas encore à voir sous un bon angle. Mais peut-être n'était-elle qu'une de ces éternelles insatisfaites qu'elle haïssaient tant, puisqu'elles lui rappelait sa propre indécision... Glissant la lanière de son sac autour de ses épaules, elle se dirigea sans bruits vers la porte de la classe. Son professeur la regardait sans mot dire, et elle savait ce qu'il cherchait ainsi à lui dire. Hier encore, il l'avait mis en garde quant à son attitude inappropriée. Elle pouvait très bien être une élève discrète oui, mais pas jusqu'à en oublier qu'elle était en cours : voilà ce qu'il lui avait dit, mot pour mot. Quoiqu'elle fasse pourtant, elle ne parvenait jamais à se concentrer assez pour suivre les cours, d'où ses notes de plus en plus catastrophiques. Elle savait pourtant que si elle continuait ainsi, elle serait renvoyée et alors, elle pourrait dire adieu à sa vengeance. Il lui fallait devenir plus forte mais... avec cette peur qui lui serrait l'estomac dès qu'elle apercevait un carré de chocolat, comment tenir ? Et tous ces doutes lui envahissaient peu à peu l'esprit, n'arrangeant pas son humeur déjà bien trop amère.

On la bouscula plus d'une fois dans les couloirs, comme elle en avait l'habitude. Elle n'était pas bien grande, et elle était surtout seule. Bien sûr, elle enviait tous ces groupes autour d'elle, tous ces rires et ces cris plein d'allégresse... et puis, elle se disait que ce n'était pas pour elle tout cela, qu'elle appartenait déjà à un autre monde et qu'elle ne pourrait rejoindre celui-ci qu'après avoir accompli sa mission. La jeune fille s'arrêta un instant au niveau des grilles de l'établissement, observant ses camarades la dépasser bruyamment, puis elle soupira, réajustant la lanière de son sac. Un bruit sourd attira soudain son attention, et elle tourna la tête dans sa direction. Elle aperçu brièvement une silhouette massive, masculine sans aucun doute. Intriguée, elle s'approcha discrètement. Le bu n'était pas de lui adresser la parole, d'ailleurs, elle ne savait pas vraiment pour quelle raison elle s'approchait ainsi d'un parfait inconnu qui, visiblement, semblait bien plus âgé qu'elle. Non, le but était sans doute de faire intervenir n'importe qui, pour n'importe quoi, dans cette journée sans fin et sans intérêt. Alors que l'homme se relevait, visiblement après avoir récupéré quelque chose au sol, elle le vit brusquement tomber en arrière alors qu'il se rendait compte de sa présence. Setsuko écarquilla d'abord les yeux, puis un sourire moqueur vint peu à peu retrousser le coin de ses lèvres alors qu'elle écoutait les "excuses" de l'inconnu.

"Et c'est bien dommage, non ? Car après tout, je ne vois pas ce qu'un quinquagénaire pourrait bien venir faire devant les grilles d'un lycée si ce n'est pas pour regarder sous les jupes des filles." dit-elle d'un air amusé. Elle avait peut-être trouvé là l'occasion, enfin, d'oublier cette interminable journée de plus.

Surpris ? A peine…Déjà qu’il était sur les nerfs depuis qu’il avait décidé de se rendre au Sakurai, alors cette rencontre imprévue le rendait on ne peut plus mal à l’aise. Il craignait d’ouvrir les yeux, de peur de trouver un regard accusateur et lourd de reproches ou encore un air aussi ahuri et affolé qu’il pouvait l’être intérieurement. Oui, intérieurement. Car malgré ce mouvement brusque et stupide qui l’avait fait atterrir sur les fesses, il gardait un certain sens de l’honneur en refusant de manifester ses véritables émotions devant qui que ce soit, question de principe. Sa mémoire auditive ne lui faisait néanmoins pas défaut et, dès les premières notes qui s’échappèrent de la bouche de la jeune fille, il sut qu’elle n’était pas celle pour qui il se rongeait les sangs. Par contre, sa réplique était digne d’un Wakabayashi. Une remarque cinglante et authentique, un vrai sens de la répartie qu’il aurait pu apprécier s’il n’avait été à son encontre. Il ouvrit lentement ses paupières, toisant le sourire léger qui s’adressait à sa cascade burlesque et probablement à ses pseudos supplications. Une lycéenne se tenait debout, face à lui, visiblement ravie de cette trouvaille. Et les mots qu’elle avait employé…c’était quoi déjà ? Quinqua…QUINQUAGENAIRE ?! Il secoua la tête d’un mouvement rapide, avant de partir dans un rire cristallin mais forcé. Il prit son temps pour se redresser, constatant avec plaisir qu’il avait plus d’une tête supplémentaire. Comme s’il allait user de la force avec une gamine ! C’était simplement pour se rassurer tiens ! Tandis qu’il restait sagement à sa place, affichant un sourire commercial et particulièrement dénué d’humour, il passa une main gênée derrière sa nuque avant de s’éclaircir la gorge, histoire de prendre la parole.

" Pour info, je ne suis pas un pervers en quête de jupes. Il se trouve que je me suis trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment, c’est aussi simple que ça. Maintenant, à toi de croire ce que tu veux. "

Distant. Froid. Un peu. Il faut dire que le coup du quinquagénaire restait en travers de la gorge de notre coréen préféré. Bon d’accord, n’importe qui aurait pu voir qu’il n’avait pas sa place dans le lycée, car même s’il portait un uniforme, il ne pouvait être crédible…mais de là à le comparer à un homme d’âge mûr ?! Il devait considérer cette situation comme un message envoyé par le Destin lui-même, pour lui faire comprendre qu’il n’avait pas à se trouver ici. A moins que cette jeune fille ne puisse lui venir en aide ? Mais de quelle aide au juste ? Il soupira en se laissant aller contre les grilles, allumant sa cigarette d’une main légèrement tremblante. Monologue, quand tu nous tiens…

" Je savais que c’était une mauvaise idée. La preuve ! Je passe pour un vieux crouton qui tente de s’émoustiller pour une paire de jambes à peine sorties du berceau…C’est vraiment pathétique ! Je ne sais même plus pourquoi j’suis là, à tourner en rond comme un lion en cage, noircissant un peu plus mes poumons dans l’espoir de…mais de quoi bon sang ?! Hein ? Tu peux me le dire ?! "

Il venait de relever la tête, croyant peut-être trouver une réponse à sa question, formulée de la manière la plus simple qui soit par ce messager venu d’ailleurs. Etait-elle aussi intriguée qu’il était déboussolé ? A quoi pouvait-il bien ressembler en cet instant ? A un homme perdu ? Un dépressif dont les dernières volontés auraient été de se remémorer des scènes de son adolescence ? Il se foutait pas mal des préjugés d’ordinaire, mais devant cet établissement, face à ces richards à l’éducation pure et parfaite, il ne voulait pas perdre la face. Ils étaient les étudiants pré-todai, ceux qui ne sont pas tout à fait ancrés dans cette sphère de complaisance et d’hypocrisie, mais suffisamment pour y posséder une place de choix dans l’avenir. Bien sûr, il ne pouvait tous les mettre dans le même sac, surtout depuis que l’un d’entre eux avait complètement bouleversé sa façon de penser. Il ferma les yeux en expirant lentement, reprenant son récit.

" Non, bien sûr que non. C’était pas…enfin, disons que j’aime bien croire qu’on m’écoute, ne serait-ce que quelques malheureuses secondes. Pour vider mon sac en quelque sorte… "

Il sourit, comme s’il se moquait de sa propre bêtise, avant de la regarder.

" A ton tour. Balance ! Je jouerai le rôle de celui qui fait semblant de prêter une oreille. "

Il tira une longue latte de cigarette avant de la jeter au sol, l’écrasant et passant ses mains dans les poches de son jean. Elle devait certainement le prendre pour un dingue, à parler de tout, de rien et surtout de n’importe quoi avec une lycéenne. Il était tout simplement dérangé, il n’y avait rien d’autre à dire. Peut-être qu’elle allait se mettre à hurler, à s’esclaffer ou tout simplement à partir de la même manière qu’elle était arrivée. Maintenant, ça ne faisait plus une grande différence. Il avait compris en tombant sur elle qu’il n’avait pas sa place, qu’il n’aurait pas du venir, qu’il perdait son temps à chercher quelqu’un qui ne pouvait appartenir à son monde. Alors…alors n’importe quelle réaction serait la bonne.

HJ : désolé pour l'attente et la longueur...T.T