She said : pray (Hiroto)

Ne plus être en harmonie avec sa famille était devenu un fait familier, pour elle qui, autrefois, les avait rendu si fiers. Setsuko n'était pas surdouée, elle avait simplement toujours eu quelques facilités qui l'avaient toujours amené au devant de la scène, et de sa classe en l'occurrence. L'héritière de la société Ogasagawa était promise à un avenir radieux, où tout ne pourrait que lui sourire au vu des compétences innées qu'elle avait toujours paru avoir. Brillante, intelligente, innocente. Parfaite. Quelle belle petite japonaise avaient-ils eu là, se rendaient-ils compte ces parents, de la chance qu'ils avaient eu là, de donner naissance à une si adorable créature ? Et elle, s'était-elle seulement rendu compte de sa chance ? Celle d'être née dans une famille si prestigieuse, qui lui ouvrirait sans aucun doute les établissements les plus réputés, ainsi que les relations les plus privilégiées. Que demander de plus ? Comment être davantage heureuse qu'elle ne l'était alors ? Car oui, même enfant, elle se rendait compte de sa chance, de son bonheur, et ne s'était jamais gênée pour partager tout ce qu'elle avait, tout ce qu'elle pouvait, jusqu'à donner des morceaux d'elle-même. On s'en étonnait d'ailleurs, et elle ne comprenait pas les réactions suspicieuses qu'elle rencontrait parfois. Ne pouvait-on pas être riche et aimable ? Non, visiblement, ça dépassait l'entendement de nombreuses personnes, et peut-être que c'est lorsqu'elle réalisa cela, déjà, qu'elle commença à changer. Akiyo ne fut peut-être que la goute d'eau... mais cela, on ne le saurait sans doute jamais.

C'est donc toute pleine de ses réflexions qu'elle s'était instinctivement rendu à Ueno, cherchant une quiétude qu'elle ne parvenait plus à trouver chez elle. Son père était déçu, tout comme sa mère, qui n'en avait pas moins changé son habitude d'être le plus proche possible de son unique enfant. Setsuko savait qu'elle aurait souhaité en avoir un second, qu'un seul enfant était presque une torture pour elle, et qu'elle regardait encore avec envie les jeunes mamans lorsqu'elles se baladaient toutes les deux. Dans ces moments, Setsuko baissait toujours la tête, comme si elle devait se sentir coupable de quelque chose. Il est vrai que, depuis que son comportement avait considérablement changé, son père et sa mère s'étaient éloignés l'un de l'autre. Ils semblaient moins complices, et leurs regards étaient un peu moins amoureux peut-être. Juste un peu plus amers. Mais elle n'y pouvait rien, n'est ce pas, si le travail de son père était si prenant, et si sa mère était trop faible pour oser s'en plaindre. N'est ce pas.

Qu'elle se retrouve soudain aux portes d'un temple fut-il un hasard ? Elle n'avait pas pour habitude de prier, elle n'était d'ailleurs pas très croyante. Elle avait déjà bien du mal à croire au tangible, à croire en elle-même, aurait-ce été juste de croire à toutes ces choses que l'on ne peut voir ? Qu'importe la religion au fond, elle n'en avait jamais trouvé aucune qui lui convenait tout à fait. Alors comme tout ses pairs, elle s'était converti au bouddhisme, ce qui n'avait pas vraiment été son choix, mais qui l'avait véritablement, le choix ? Elle ne croyait pas à ces hurluberlus qui pensaient dur comme fer qu'on l'avait toujours, qu'on, traçait tous notre propre chemin, notre propre vie. Setsuko elle, était certaine de ne jamais avoir choisie d'être malheureuse. Le temple était minuscule, juste là pour les prières de passage. Mais sa solennité l'apaisa instantanément, et elle ferma longuement les yeux, respirant à plein poumon les effluves mystiques que dégageaient ce lieu. Elle avait beau ne pas croire en grand chose, elle ne pouvait nier qu'il y avait sans doute quelque chose de vraie derrières tous ces mythes. Elle s'agenouilla devant une idole, et l'observa un moment, appréciant ses courbes, et les incisions décoratives qui la composaient. Elle du se perdre dans ses pensées, car un bruit de pas lui fit soudain relever la tête et ce fut comme si elle sortait d'un rêve. D'un clignement de paupière, elle chassa les brumes qui encombraient son esprit, avant de se retourner à demi. "Eh ?" murmura-t-elle en reconnaissant l'intru.

"Depuis quand laisse-t-on les pervers fréquenter les temples ?" dit-elle un ton plus haut, à l'adresse de Kaname san. Elle ne le connaissait pas bien, savait simplement qu'il était étudiant à Todai, et qu'il s'intéressait d'un peu trop près aux lycéennes pour être net.

(dans les temps également, voilà ta récompense) :3

Oh que oui, il avait l'air louche. Il y avait la différence d'âge manifeste certes, mais aussi le fait qu'un garçon comme lui, un homme quasiment, prenne le temps de s'intéresser à une gamine comme elle. Certes, c'était un ami de Takeshi, et il y avait des chances qu'il se soit mis en tête, comme son cher tonton, de la sauver d'elle-même et de je ne sais quoi. Mais pourquoi ? Après tout, il n'avait aucune raison de faire cela, de lui parler, de lui jeter même un regard. Les autres ne se donnaient pas cette peine, alors pourquoi lui ? Oui, il y avait certainement plus d'une anguille sous la roche. Comme elle ne se gênait pas pour le faire en cet instant, il la dévisagea un moment, le sourire aux lèvres, ce qui était assez déconcertant. Allons bon : qu'y avait-il de si plaisant ? Elle n'était pourtant pas en uniforme ! Aucune chance qu'il puisse loucher sur ses sous-vêtements. Alors quoi ? "Depuis quand suis-je un pervers ?" dit-il finalement, avant de lui tourner le dos et de manifestement se désintéresser de la lycéenne, qui haussa un sourcil. Elle rajusta son chemisier, vérifia la profondeur du décolleté, et tourna à son tour le dos au jeune homme. Elle n'allait certainement pas lui faire le plaisir de continuer la discussion, sans doute n'attendait-il que cela. Setsuko se demandait d'ailleurs déjà pourquoi elle lui avais adressé la parole la première. Elle ne manquerait sans doute pas de le regretter...

"Pour ma défense, je dirais que je suis un type normalement constitué et donc que je ne m'intéresse qu'aux femmes plus âgées." lança-t-il à nouveau. Les mots résonnèrent un moment dans l'enceinte du petit temple, et la jeune fille sembla méditer un moment sur ces quelques paroles. "C'est censé me rassurer ? Comment pourrais-je être sûre que tu ne me dis pas cela pour que je baisse ma garde et que tu puisses m'enlever plus facilement ?" répondit-elle en se tournant à demi vers Kaname san (si l'on pouvait décemment appeler ainsi quelqu'un qu'on présumait être un obsédé). Surveillant ses gestes du coin de l'œil, il lui était difficile de faire taire sa curiosité, bien que la méfiance restait son sentiment le plus fort à l'heure actuelle. Pour plus d'efficacité, si jamais elle avait à réagir rapidement, elle se releva, chassant la poussière qui s'était déposée sur ses genoux nus. Instinctivement, elle tira sur les bords de sa jupe, qu'elle aurait souhaité un peu plus longue. Il avait beau dire, elle ne parvenait pas à trouver une autre raison que la perversité qui pourrait justifier l'intérêt de l'universitaire pour elle. "Alors quel bon vent t'amène ici ?" reprit-il au bout d'un certain temps. Déboussolée, Ogasagawa se contenta de l'observer un moment. Comment était-ce possible de paraître aussi suspect ?

"Comment un "bon vent" pourrait-il m'amener dans un temple ? Et si j'étais venu prier pour l'âme d'un récent défunt ?" Un sourcil haussé, elle sourit à demi, avant de se détourner à nouveau. Elle s'en voulait quelque peu de continuer ainsi à converser, alors qu'elle ignorait tout de ce garçon. N'aurait-il pas mieux valu quitter cet endroit, et courir aussi loin que possible ? Mais non, elle ne parvenait pas à faire taire cette fichue curiosité, qui la poussait à rester ici et en apprendre davantage sur Hiroto. Il n'y avait pas à dire, elle avait parfois bien du mal à se comprendre.

D'accord, il n'avait pas tort. S'il avait voulu l'enlever, il en avait déjà eu bien des occasions. D'ailleurs, pourquoi s'embêterait-il à rester là, à papoter avec elle de la pluie et du beau temps, alors qu'il aurait tout aussi bien pu la prendre sous son bras et la tirer de force là où il lui plaisait. C'est qu'elle ne pesait pas bien lourd, Setsuko... néanmoins, elle avait beau tourner et tourner encore tout cela dans sa tête, elle ne parvenait pas à se raisonner. Qu'il y ait du bon dans toute cette situation ? Elle ne le concevait pas. Si au moins il lui expliquait clairement ce qu'il voulait, mais non, il se contentait de rester là, près d'elle, et de lui parler comme si de rien n'était, comme s'ils se connaissaient depuis toujours alors qu'ils s'étaient à peine adressé la parole deux ou trois fois. L'ongle de son pouce dans la bouche, elle ne comprenait pas, et se sentir ainsi perdu n'était pas pour la mettre plus à l'aise. "Mais alors... que désires-tu exactement ?" dit-elle plus pour elle-même que pour Kaname san, elle le dit pourtant assez fort pour que le jeune homme l'entende et qu'il réponde à sa guise. Elle ne s'attendait pas particulièrement à être convaincu, ne savait même pas si elle prendrait le temps de l'écouter avec attention, mais au fond d'elle-même, elle aurait déjà donné beaucoup pour être rassurée, ne serait-ce qu'un tout petit peu. Timidement, elle osait jeter quelques coup d'œil à l'étudiant, qui semblait beaucoup moins serein qu'à son arrivée. Pervers ou pas, nul doute que l'attitude de la jeune fille avait de quoi agacer, et peut-être cela suffirait-il à dévoiler enfin les véritables intentions d'Hiroto.

Elle n'entendit qu'à peine les excuses de ce dernier : elle avait déjà oublié sa boutade, prononcée simplement pour énerver un peu plus celui qu'elle ne parvenait pas à cerner. Avec empressement, elle s'inclina devant l'autel et se releva précipitamment. Elle avait pris sa décision : elle devait s'éclipser au plus vite. Bien sûr, cela l'empêcherait d'avoir la réponse à cette demi question posée un peu plus tôt, mais elle préférait ne pas savoir... enfin, quelle que soit la raison, elle préférait ne pas entendre les mots "pitié", "tristesse", "pauvre jeune fille" et d'autres tortures de ce genre là. Sans doute valait-il mieux qu'il ne soit qu'un pervers oui, sans aucun doute. C'était toujours mieux que les regards emplie de générosité que lui lançait ceux qui, de toute leur âme, aurait voulu lui redonner le sourire. Sourire qu'elle n'avait pas perdu au fond, il s'était juste un peu tordu, un peu abîmé. Il reviendrait oui, ce sourire plein d'innocence qu'elle aimait tant, avant. Il reviendrait, c'était certain, mais avant cela, elle se devait d'être vengée, et ce par n'importe quel moyen.

Mais alors qu'elle atteignait les portes du temple, elle fut arrêtée par la voix de Kaname san, qui s'élevait de nouveau. Non pas que ses paroles furent déplacées, elles restaient même polies, néanmoins, sa mâchoire se serra et ses doigts se crispèrent. Le regard qu'elle jeta au jeune homme n'était sans doute pas aussi coléreux qu'elle l'aurait voulu, tant l'étonnement lui avait pratiquement faire perdre ses moyens. "Kanzaki kun ?" Non pas que leur parenté soit un secret d'état, néanmoins aucun des deux, que ce soit Akira ou Setsuko, ne s'en était jamais vanté. Ils ne passaient que rarement de temps ensemble finalement, l'un pris par ses études, l'autre par ses désirs de vengeance, mais lorsqu'ils se voyaient, c'était toujours chez l'un ou l'autre, voir à des lieus de la faculté ou du lycée. Elle ne doutait pas de l'influence que pouvait avoir un membre de la fraternité dans cette ville, mais tout de même, jamais elle n'aurait pensé le voir sortir cette carte ci. "Je... non. Non, je ne suis pas enviée puisque personne n'est réellement au courant." Ses yeux se durcirent, et elle continua " Aussi je me demande comment toi tu as pu l'être et surtout, pourquoi... qu'est ce que ça peut te faire qu'il soit ou non de ma famille ? T'inquiètes-tu pour une rançon éventuelle ? dit-elle avec un sourire en coin, toujours teinté d'amertume. Mais elle le perdit soudain, baissa les yeux et desserra les poings. Sans qu'elle comprenne pourquoi, soudain, elle se sentit ridicule. Fatiguée, et souillée. Setsuko soupira. "Je suis désolée mais... tu perds ton temps... avec moi"

Elle tiqua devant la réponse d'Hiroto à cette question qui n'en était pas vraiment une. Il y avait quelque chose dans le ton de sa voix, qu'elle ne parvenait pas à saisir. Etait-ce du sarcasme ? En tous les cas, elle ne pouvait concevoir que ce soit bon pour elle, et son agacement n'en fut qu'attisé. Mais pour qui se prenait-il, cet homme ? Non, bien sûr qu'elle ne profitait pas de sa jeunesse, et d'ailleurs, ce n'était absolument pas son but ni son intention. Elle avait bien d'autres choses en tête que toutes ces futilités associées habituellement aux adolescentes. Setsuko resta un moment immobile, observant discrètement Hiroto, puis elle se tourna finalement vers lui, sa main gauche posée sur la poignée du temps, comme une représentation d'un échappatoire possible, au cas où tout irait trop loin. "Est-ce que... tu te moquerais de moi ?" dit-elle clairement, après un temps. Son esprit bouillait, mais elle contenait tant bien que mal ses sentiments. Elle avait appris beaucoup au contact de son pychologue, appris qu'en étant trop gentille et qu'en laissant tout le monde voir ce qui nous tourmentait, on ne pouvait que souffrir. Alors elle cachait tout. Ça n'avait pas été simple au début : elle avait beaucoup pleuré, seule, toute pleine de frustrations et de sentiments confus. Mais aujourd'hui, elle se sentait forte. Elle l'était d'ailleurs, et jamais elle ne laisserait quelqu'un mettre en doute cela. Il y avait au moins une chose pour laquelle elle pouvait être fière, et elle n'était pas prête de la laisser s'échapper. "Tu n'as pas le droit. Tu ne me connais pas, tu ne peux pas te moquer de moi si facilement !" Un nouveau silence et puis "C'est... injuste... non ?" murmura-t-elle finalement, comme peu sûre de ses propres valeurs.

Ce faisant, elle s'était approchée du jeune homme, et cela presque inconsciemment. Elle s'était sentie, bien sûr, lâcher la poignée de la porte, et avait perçu le battement plus rapide de son cœur, alors qu'elle mettait sa sécurité de côté. Mais c'était plus fort qu'elle, elle voulait voir de plus près celui qui se plaisait tant à la provoquer. Que retirait-il de tout cela ? C'était encore et toujours cette même question qui tournait et tournait encore dans son esprit embrumé. "Les Golden Boys ?" reprit-elle, à la suite de l'explication donnée par Hiroto. Elle s'était arrêté à quelques mètres de lui, et semblait réellement interloquée par l'expression qu'il venait d'utiliser. Ah oui, bien sûr. Les Golden Boys, dont faisait partie Akira depuis toujours. Elle n'avait jamais réellement compris l'intérêt de ce cercle fermé, regroupant les plus riches héritiers du pays. C'était un peu... présomptueux non ? Mais au fond, peu lui importait. Ils vivaient leur vie comme elle vivait la sienne, et s'ils se plaisaient ainsi, grand bien leur en fasse. Elle voyait pourtant mal l'intérêt visiblement important que leur portait l'étudiant. Et ce qui l'inquiétait encore davantage, c'est que son nom pouvait être sortie aussi facilement d'une telle recherche... elle haussa un sourcil, encore incertaine de la conduite à tenir. "Pourquoi pourraient-ils être dangereux ? Ce ne sont que de simples garçons..."

Elle resta silencieuse un moment. Elle se demandait si elle ne parlait pas trop, si elle ne se mettait pas trop en danger, en demeurant là. Ils ne se connaissaient pas, après tout, et lui pouvait bien parler, elle n'était pas prête de lui accorder sa confiance. Personne d'ailleurs, n'était digne de la confiance de personne. On disait l'homme incapable de vivre seul, et pourtant, il était bien difficile de se faire à la communauté. Pétri d'égoïsme, quel avenir pouvait bien avoir la générosité en ce bas monde ? Et pourtant, lui qui était debout en face d'elle, semblait vouloir lui faire croire que tout n'était pas perdu. Elle aurait pu en rire, c'est ce qu'elle aurait du d'ailleurs faire avant de quitter le temps sans lui accorder davantage d'attention. Et pourtant, c'était comme si elle ne pouvait empêcher la part curieuse de sa personne de s'intéresser davantage à ce garçon. "Me changer les idées ?" répondit-elle, sincèrement étonnée ? Troublée également, peut-être. Les deux mains sur les hanches, elle observa un long moment Kaname san, cherchant ses mots. "Mais... pourquoi ferais-tu cela ? Je ne suis rien pour toi." dit-elle finalement, un sourire triste sur les lèvres.